En croyant protéger 700 producteurs fermiers, la loi EGAlim pourrait bien finir par en sacrifier 5000…
La Loi Agriculture et Alimentation, autrement appelée EGAlim vient d'être adoptée successivement à l'assemblée nationale puis au Sénat. Elle passera en dernière lecture le 3 septembre prochain.
Moins médiatisée, que la généralisation des doggy bag ou la régulation des prix d'achat des denrées agricole, cette Loi contient une mesure ayant pourtant un impact important sur les producteurs laitiers fermiers. l'Association nationale des producteurs laitiers fermiers présentent leurs inquiétudes concernant la modification de la définition de fromage fermier dans un communiqué de presse.
L’article 11 octies du projet de « Loi EGAlim » en cours d’adoption introduit une nouvelle définition du fromage fermier en admettant la possibilité d’un affinage en dehors de l’exploitation agricole, dans les termes suivants : « Pour les fromages fermiers lorsque le processus d’affinage est effectué en dehors de l’exploitation en conformité avec les usages traditionnels, l’information du consommateur doit être assurée en complément des mentions prévues au premier alinéa selon des modalités fixées par le décret mentionné au premier alinéa. » En généralisant la possibilité d’affiner le fromage fermier à l’extérieur, cette nouvelle disposition met clairement la filière fromagère en danger.
Qui sont les producteurs concernés ?
En France, les producteurs laitiers fermiers sont au nombre de 5700, selon le dernier recensement agricole (2010). Bien qu’il n’existe pas de statistiques officielles, notre connaissance du secteur nous permet d’affirmer qu’au maximum 700 d’entre eux font affiner tout ou partie de leur production par un affineur extérieur. Ainsi, la pratique de l’affinage à l’extérieur des fermes est loin de concerner la majorité des producteurs fermiers. Au moins 5000 producteurs sur 5700 affinent et commercialisent leurs fromages eux-mêmes.
Qui sont les affineurs extérieurs ?
Les affineurs achètent des fromages « en blanc », c’est-à-dire juste fabriqués mais non affinés, et les affinent dans leurs locaux, avant de les mettre en vente.
Dans leur grande majorité, les affineurs de fromages fermiers sont des entreprises privées industrielles, parfois de grande taille. La plupart du temps, ces affineurs industriels affinent non seulement des fromages fermiers (fabriqués par un agriculteur seulement à partir de son propre lait et sur sa propre ferme), mais également d’autres fromages, industriels ou artisanaux (fabriqués par des opérateurs n’ayant pas eux-mêmes d’animaux et ne produisant donc pas de lait, mais qui achètent leur lait matière première à des éleveurs).
Dans certains cas, ces affineurs industriels sont eux-mêmes également fabricants de fromages. Il n’est donc pas rare qu’un affineur réunisse dans ses caves à la fois des fromages qu’il a lui-même fabriqué, des fromages industriels achetés à d’autres faiseurs industriels et aussi, éventuellement, des fromages achetés à des producteurs fermiers. A leur mise en marché, l’ensemble de ces fromages sont commercialisés sous la même marque, celle de l’affineur (dernier opérateur) quelle que soit leur provenance initiale.
Un peu d’histoire…
Auparavant l’achat des fromages fermiers en blanc par des affineurs spécialisés correspondait à un usage traditionnel, en particulier pour des productions sous AOP et dans des zones éloignées des grands centres de consommation. Il était pratiqué le plus souvent par de petits opérateurs privés ou coopératifs avec un lien fort avec leurs producteurs et fort ancrage local. C’est pourquoi 8 des AOP fromagères fermières affinées à l’extérieur ont longtemps bénéficié d’une dérogation à l’utilisation de la mention fermière.
Aujourd’hui, nombre de ces petites structures d’affinage, coopératives ou privées, ont fait l’objet de rachats par des opérateurs industriels, comme Lactalis par exemple, dans le seul
but marketing de maîtriser une offre commerciale complète et de récupérer une mention valorisante pour un certain nombre de ses produits.
Or, il faut noter que nous avions pu constater de nombreuses dérives à cette dérogation, et en particulier l’élargissement à d’autres AOP et même à des fromages hors AOP.
Pourquoi l’ANPLF s’est-elle positionnée contre la nouvelle loi qui permet à des fromages affinés hors ferme de porter la mention « fromage fermier » ?
Les initiateurs de la nouvelle loi mettent en avant le fait que celle-ci facilitera les regroupements de producteurs fermiers souhaitant investir en commun dans des installations d’affinage performantes, et plus efficaces en terme de commercialisation des produits.
L’ANPLF n’est absolument pas contre l’existence d’ateliers d’affinage collectifs dirigés par les producteurs fermiers eux-mêmes. En revanche, nous voulons alerter sur le fait qu’à ce jour, la grande majorité des affineurs n’est pas formée par ces ateliers collectifs mais plutôt par des structures de grande taille, plutôt industrielles et surtout dans lesquelles les producteurs fermiers d’origine n’ont pas leur mot à dire, ni sur le processus d’affinage ni sur la valorisation de leur produit et encore moins sur la rétribution de leur travail.
Le texte de loi va bien plus loin que la protection des ateliers collectifs ou des systèmes traditionnels d’affinage de certaines AOP ; il ouvre totalement l’utilisation du terme fermier à n’importe quel opérateur industriel.
L'ANPLF avait déjà pu constater des dérives au sein de quelques AOP, où certains opérateurs industriels incitent leurs producteurs de lait à se mettre à fabriquer les fromages, sachant qu’ils en retirent un double bénéfice : ils exploitent une main d’oeuvre sous payée pour la fabrication fromagère et ils bénéficient de la mention fermière et de sa plus-value.
Les 700 producteurs ayant recours à l’affinage hors ferme, tireront ils vraiment bénéfice de cette nouvelle loi ?
Par ailleurs, à long terme, le fait que des fromages étiquetés fermiers soient commercialisés sous des marques industrielles, sans que le consommateur puisse faire le lien avec un producteur agricole, conduira à une dévalorisation de l’image fermière, au détriment des 5700 producteurs de cette filière.
Que propose l’ANPLF aujourd’hui ?
Nous comprenons qu’une certaine flexibilité doit pouvoir s’appliquer quant au terme fermier, tant que cette flexibilité sert réellement les producteurs eux-mêmes et ne remet pas en cause la plus-value qui est encore attachée à la mention fermière. Ainsi, il nous semble possible d’envisager l’affinage à l’extérieur uniquement :
- dans le cadre d’ateliers collectifs, si la structure reste de taille raisonnable, qu’elle ne regroupe que des producteurs fermiers et qu’elle n’affine que des fromages fermiers ;
- pour les filières légitimes de par leur histoire vis-à-vis du terme fermier, c’est-à-dire uniquement les 8 filières AOP qui utilisaient le terme fermier avant 2014, et sous réserve que le nom du producteur soit bien indiqué sur l’étiquette ;
- dans les cas d’affinage à façon, impliquant que le producteur récupère son produit à la sortie du local d’affinage et le commercialise lui-même.
En savoir plus sur l’ANPLF
L'Association Nationale des Producteurs Laitiers Fermiers – compte plus de 900 adhérents directs, producteurs de fromages et produits laitiers fermiers, répartis dans les différentes régions françaises et issus des 3 espèces laitières (bovins, caprins, ovins). Elle regroupe des structures départementales ou régionales, dont les responsables sont fortement impliqués dans les organisations agricoles classiques, mais qui ont choisi de créer une structure nationale ouverte, ayant pour but de représenter et de défendre les intérêts spécifiques des producteurs laitiers fermiers, quelle que soit l’espèce laitière ou la région.
Leur rôle consiste en la défense des producteurs fermiers, en la mise en place d'actions de valorisation et de promotion des produits fermiers, de formation et information des producteurs fermiers pour une meilleure maîtrise de la qualité de leurs produits, une meilleure adaptation aux contraintes sanitaires et réglementaires, une meilleure prise en compte des attentes des consommateurs et bien sûr une meilleure valorisation de leurs produits et de leur travail.
