- Par Delphine Daniel
L’Automédication chez les ruminants
On croyait les brebis incapables de réagir face aux maladies, fragiles et passives, elles ont la réputation de mourir bien vite. On pensait la vache, grosse mangeuse, incapable de trier, mangeant ce qu’on lui donne. On considérait la chèvre comme une empêcheuse de tourner en rond, coquine à souhait et mangeant exclusivement ce qu’elle ne devrait pas. Pourtant lorsqu’on les regarde pâturer attentivement et qu’elles ont à leur disposition une grande variété de plantes non alimentaires (que l’on appelle encore adventices aujourd’hui), on constate qu’elles ne sont pas si bêtes que ça. Chacune à leur manière, elles sont capables d’automédication.
Tous les troupeaux ne sont pas égaux dans ces comportements. Les animaux sélectionnés pour leurs aptitudes bouchères et laitières ont souvent perdu ces capacités. Ils pâturent groupées en « barre de coupe » et s’intéressent peu aux haies et autres plantes ce qui les rend d’autant plus fragiles. Les animaux dit rustiques et les souches anciennes sont plus regardants sur ce qu’ils mangent. L’élevage des agnelles, génisses et chevrettes en extérieur sur site est favorisant et tout changement de lieu pour un troupeau implique, au moins un temps, une incapacité liée au changement de végétation.
Les espèces ne sont pas non plus égales. La chèvre est la championne de l’automédication, c’est d’ailleurs son arme principale. Son système immunitaire étant du genre explosif, elle a intérêt à éviter d’être malade. La brebis la suit de loin, sa gourmandise la pénalise un peu dans le choix des végétaux, mais elle connaît les plantes qui la soulage et compense souvent une faiblesse immunitaire par des consommations bizarres vues de l’extérieur. La vache est dotée d’un système immunitaire plus rapide que la brebis mais plus tempéré que celui de la chèvre, ce qui ne l’encourage pas dans la recherche de plantes médicinales. Cette recherche lui demande plus d’efforts pour un gain modéré. Mais elle ne boudera pas quelques feuilles de ronces ou une taupinière de temps en temps.
Dans tous les cas, observer les consommations atypiques peut informer sur l’état de santé de son troupeau. La plante médicinale exotique est une image d’Épinal, de nombreuses plantes médicinales sont présentes dans nos prairies, sous nos pieds, tous les jours. Voici quelques exemples de ce que peuvent manger vos ruminants de temps en temps et qui vous informe sur leur état de forme.
Le pissenlit
Le pissenlit dent de lion est un excellent draineur hépatique. Il permet de soigner les conséquences d’une infestation par les douves. Il est très apprécié en sortie d’étable après un régime céréale ou ensilage. En effet, la subacidose favorise l’engraissement du foie que le pissenlit aide à éliminer. C’est l’aliment de printemps par excellence et il explique en partie la remise en état spectaculaire de certains troupeaux dès la mise à l’herbe.
Les plantes taniques
La consommation de plantes taniques est à surveiller. Les écorces d’arbres taniques (chêne/ châtaigner), de fruitiers âgés ainsi que les feuilles de ronce en sont des exemples. La recherche des tanins est un signe de tentative de gestion du parasitisme. Si ces consommations sont associées à un manque d’état, à de la faiblesse, à un manque de production (croissance ou lactation) une coprologie est nécessaire pour savoir où en sont vos animaux. A noter chez la chèvre que les tanins sont nécessaires au bon fonctionnement digestif. Elles en mangent de grande quantité toute l’année. Chez cette espèce, les tanins sont la seule arme de défense naturelle contre les parasites (pas d’immunité, ni d’évitement).
L’ortie
L’ortie est souvent ingérée fraiche. Selon les périodes, ce sont les graines ou les feuilles qui sont mangées. Une consommation des graines signe un coup de mou, une faiblesse générale. Les graines aident à guérir les foies abimés par les douves. Une ingestion des feuilles fraiches (non coupées) signe un besoin en vitamines, acides aminés ou minéraux. C’est un excellent reminéralisant. Elle est légèrement anti-inflammatoire, elle est parfois consommée par de jeunes animaux avec des troubles respiratoires débutants et chez les adultes en période estivale en lien avec des douleurs locomotrices (sol dur).
Le saule
L’écorce de saule est plus rarement ingérée. Cette plante contient un équivalent de l’aspirine. Les adultes les mangent parfois lorsqu’elles se sentent fébriles. Attention un saule écorcé peut également signer la présence de ragondin.
L’argile
Vos jeunes grattent et lèchent les taupinières ? c’est qu’ils y recherchent l’argile. Les argiles apaisent les douleurs abdominales et soulagent les ballonnements. Ce comportement est typique des animaux ayant mal au ventre.
Associé à des plantes à tanin, c’est un signe d’alerte parasitaire.
L’origan et thym serpolet
L’origan sauvage et le thym serpolet sont des témoins de la santé digestive. Ces plantes sont consommées en cas de présence de strongles ou de transitions alimentaires difficiles.
Le prunelier
Toutes les parties du prunelier contiennent des principes actifs. Mais ce sont surtout les feuilles et écorces qui sont ingérées. Il est indiqué dans la lutte contre le refroidissement mais des ingestions peuvent également être constatées en cas de spasme digestif (douleurs abdominales). Concrètement, une ingestion conjointe de prunelier et de lierre fait penser pneumonies, alors que du prunelier et des taupinières évoque plutôt du taenia.
Le lierre grimpant
Le lierre grimpant est réputé pour ses propriétés calmantes des voies respiratoires et antitussif (il lutte contre la toux). Il n’est pas rare de voir sa consommation augmenter en début d’automne. On remarquera que les chèvres et certaines brebis le mangent tout l’année mais le recherche particulièrement à cette période où les écarts de température sont importants. L’ingestion de prunelier concomitante doit alerter.
Les animaux se connaissent et connaissent ce qui leur réussi, soyez curieux. La liste des plantes médicinales de nos régions est longue (bruyère, callune, aubépine, feuille et fruit de myrtille, bourdaine mais également luzerne, lotier, mélilot, épine vinette…).
Vous constatez que vos animaux mangent une plante qu’ils n’ont jusqu’alors pas touché ?
Renseignez-vous sur ses propriétés médicinales, cela peut vous orienter.