Mémoires d’une vétérinaire itinérante

C’est le mois de mars !  Les jours s’allongent de plus en plus, tout comme les températures qui deviennent très changeantes, d’une grande amplitude thermique : souvent trop froid au petit matin et chaud à midi ; Les hirondelles commencent à arriver et à s’activer pour retrouver leurs nids.  Les montagnes sont encore blanches et les prairies reverdissent malgré le peu de pluie qui est tombé cette année !


Mémoires  d’une vétérinaire  itinérante

Nous sommes dans les Pyrénées, parfois coté Ariégeoises, parfois coté Luchonnais... aussi dans les Hautes Pyrénées, tout près de Gavarnie. Quelques fois j’arrive jusque du coté catalan, vers Viella et le Val d’Aran où les montagnes sont immenses, majestueuses. A chaque fois le paysage me saisit !  Je m’arrête pour le contempler et respirer profondément. Je profite de cette beauté naturelle, pure, précieuse…  Je me sens chanceuse d’être là. J’en prends plein les yeux. Je suis époustouflée ! Et je me dis que j’ai de la chance d’avoir un métier qui permet de fusionner aussi bien les animaux et le paysage que les élevages et le milieu agricole. Un métier aussi exigeant que géant ! 

 

Aujourd’hui je dois retrouver des éleveurs devenus des amis :  Dominique, Didier, Noël, Marc et toute la troupe. Avec eux on parle français, mais quelques fois, les éleveurs me parlent en «Occitan», et je leur réponds en Catalan… c’est la langue des Pyrénées. On se comprend... et c’est ce qui compte.

 

Aujourd’hui, je suis avec le groupement Pastoral d’Oô. Ce sont des  éleveurs de moutons. Les brebis sont de la race Tarasconnaise. Ce nom provient de l’endroit d’origine, Tarascon-sur-Ariège… une petite commune au pied du Montcalm (3143 m), limitrophe entre l’Ariège et le Pallars Catalan. Ce village est une sorte de sanctuaire qui rassemble les éleveurs à la descente de la montagne. Il s’y développe une grande activité dans le commerce d’animaux ; mais c’est aussi un endroit de culte et d’histoire. 

Des Tarasconnaises, mais pas seulement...


La race Tarasconnaise, est une race rustique, avec des cornes pour se défendre de tous ses prédateurs (ou presque) et avec de grandes et fines pattes qui lui permettent de grimper jusqu’à plus de 2000 m d’altitude. Son alimentation est basée sur le foin et l’herbe de pâturage. Elle entretient nos montagnes, et elle est capable d’élever son agneau avec le peu de grain qu’on lui donne pendant la période de lactation, spécialement dans le cas de naissance gémellaire.


Ces brebis, quand elles se retrouvent du côté espagnol des Pyrénées, dans le Val d’Aran, sont appelées les Araneses.

Il y a aussi les brebis sans cornes, comme les Castillonaises, ou les Rouges du Roussillon.  Toutes ont la particularité d’appartenir à des races allaitantes, mais sont, cependant plus minoritaires dans les Pyrénées. 

Les premières, ont une laine rousse et cohabitent avec les brebis Tarasconnaises en haute montagne. 

Les secondes sont un peu plus petites mais beaucoup plus laineuses. On les retrouve dans des endroits plus secs, donc dans les Pyrénées coté est, plus près de la Méditerranée, avec une montagne un peu plus douce, moins abrupte. 

La Xisqueta est aussi une race sans cornes, d’un aspect similaire à la Caussenarde du Lot et qu’on retrouve dans les pré-Pyrénées catalanes.


Les brebis cohabitent dans les mêmes troupeaux, non seulement avec quelques chèvres Pyrénéennes, mais aussi avec les troupeaux de vaches. Il faut bien partager la montagne !!! 

La race bovine la plus répandue est la Gasconne, côté Français et la Brune des Pyrénées, coté Catalan. 


Ce qui est commun à toutes ces races c’est leur rusticité.  Grâce à cette qualité, leur adaptation au terrain est optimale. Cela leur permettra de se déplacer plus facilement dans la haute montagne, de résister aux températures extrêmes, de moins se parasiter, de s’adapter à l’alimentation disponible et de mieux valoriser l’énergie et la matière azotée inutilisable pour l’homme, mais aussi d’accéder aux endroits inaccessibles pour d’autres espèces animales, et bien sûr, débroussailler, nettoyer les terrains montagneux et contribuer au contrôle des incendies.


Mais, n’oublions pas les chiens : essentiels et indissociables du berger. 


Sans eux, le travail en montagne serait très difficile, voire même quasi impossible ! 

Côté français, la plupart du temps ce sont les Border Collie qui dominent, alors que côté espagnol, c’est souvent un Berger des Pyrénées. 

Ils sont capables de comprendre les ordres de leur maître et d’agir avec l’efficacité nécessaire pour faire bouger le troupeau délicatement sans prendre le risque de blessures entre roches et corniches. 


Il y a aussi le Patou que l’on retrouve souvent par paire dans les troupeaux. Son rôle est essentiel pour protéger les troupeaux des attaques d’ours qui deviennent de plus en plus fréquentes dans les différentes Vallées du Sud. Parfois, la présence du Patou n’est pas suffisante, et le résultat de l’attaque peut être dramatique, mais il est évident que sans eux, la population d’ours constitue une grande menace pour les troupeaux ovins.



C’est donc le mois de mars, et la montée en estive doit se préparer...


Nous devons commencer à préparer les brebis à l’herbe printanière. Il leur faut un temps d’adaptation après avoir passé l’hiver à l’intérieur.  Un changement d’alimentation trop riche en azote et trop brusque pourrait provoquer une entérotoxémie avec une issue fatale pour les brebis. C’est pour cela que la sortie à l’herbe doit être progressive et dans des prairies moins riches. La vaccination contre l’entérotoxémie et charbon est préconisée.


La mise au bélier se fait vers le 15 avril mais avant cela, il faut absolument vacciner toutes les brebis qui sont ou seront en contact avec l’Espagne, contre la Fièvre Catarrhale Ovine.


Après avoir vacciné on pourra introduire les béliers dans les troupeaux. Brebis et béliers auront suivi un Flushing grâce à la richesse nutritionnelle de l’herbe de printemps (énergie, azote, et vitamines).  Si besoin, on peut toujours faire une cure de phosphore dans l’eau ou sur le grain (Ucaphoscal) ou vitamine A (Huile de foie de morue) qui va améliorer la fertilité des brebis.  Normalement, les brebis doivent monter en estive la première semaine de juin après avoir dépassé le premier mois et demi de gestation (période la plus critique pour l’implantation embryonnaire).


Avant la lutte ou après avoir passé la période critique, on s’occupe des pieds et des boiteries. 

Il faut parer toutes les brebis et réparer les pieds susceptibles de boiter. Les boiteries en montagne sont difficiles à soigner et il y a un risque de contagion aux autres, spécialement quand il s’agit du piétin.

Dans beaucoup de groupement la vaccination contre le piétin est devenue obligatoire au vu du coût et de l’effort que cela représente pour soigner ensuite dans les estives. 

La supplémentation en zinc et biotine est toujours positive et préventive des boiteries.


Juste avant de monter, les éleveurs vont tondre et marquer leurs animaux avec leurs initiales ou avec des symboles pour bien les identifier. Ils vont, en même temps protéger les troupeaux des parasites externes et des acariens type gale mais également des parasites gastro-intestinaux. 


Il existe différents types de traitements selon les besoins et les systèmes de conduite de chaque éleveur ; des produits injectables, type ivermectine et doramectine ou de type longue-action comme la moxidectine.


Par ailleurs, Il existe aussi, toujours la possibilité de baigner ou pulvériser avec des produits de la famille des organophosphorés ou des pyréthrinoïdes/pyréthrines, pour bien protéger, spécialement contre la gale, qui devient de plus en plus résistante et persistante et qui provoque beaucoup de pertes dans nos troupeaux. Dans ce cas, il ne faut pas oublier le ramassage de l’eau usée pour éviter la pollution de l’environnement.


Nous sommes enfin au mois de juin... C’est le 14 Juin, c’est la Saint Germain, et la fête se prépare. Le curé viendra pour bénir et pour protéger nos brebis qui vont emprunter le chemin de la liberté et nous, éleveurs, bergers, amis, et parfois, vétérinaires, ... nous serons heureux de les accompagner jusqu’au moment de la descente, fin septembre, prêtes à agneler... et recommencer un nouveau cycle de vie.