- Par Laurent Saboureau
Prévention de la coccidiose
Evolution de la réglementation
L’ordonnance n°2022-414 du 23 mars 2022 a adapté au droit français le Règlement européen n°2019/6 qui porte sur les médicaments vétérinaires et les aliments médicamenteux. Ce règlement stipule que les anticoccidiens, en tant qu’antimicrobiens et au même titre que les antibiotiques, ne peuvent désormais être utilisés qu’uniquement à titre curatif, pour un animal individuel ou un nombre restreint d’animaux.
Réglementairement, c’en est donc fini de l’utilisation des anticoccidiens sur un lot complet de jeunes ruminants dans l’objectif de prévenir les effets zootechniques et les symptômes des infestations coccidiennes. Cette réglementation a également fait disparaitre les anticoccidiens de la liste des médicaments vétérinaires que les groupements agréés sont autorisés à acheter, à détenir et à délivrer aux éleveurs dans le cadre des PSE.
Pourtant, l’Agence européenne du médicament (EMA) avait diffusé une note de réflexion de son comité des médicaments vétérinaires concernant l’usage préventif des antimicrobiens. Dans cette note, l’EMA proposait clairement de conserver l’usage préventif des anticoccidiens chez les jeunes animaux, plutôt que d’attendre des signes cliniques pour déclencher trop tardivement une métaphylaxie (traitement des animaux cliniquement malades et des autres animaux du même groupe encore cliniquement sains) ou un traitement curatif. En effet, la prévention est jugée comme une stratégie bien plus efficace contre la coccidiose que la métaphylaxie ou un traitement curatif. Dans les élevages avec un historique d’infection par des coccidies, le risque de coccidiose est considéré comme « très élevé » du fait de la persistance des ookystes (formes de survie) dans l’environnement et avec des conséquences très graves en termes de morbidité et mortalité. Le législateur européen n’a donc pas tenu compte de l’avis des experts… européens !!
Cette nouvelle réglementation constitue un recul certain dans la maîtrise sanitaire des élevages et le bien-être animal, puisqu’il faut théoriquement désormais attendre, pour utiliser un anticoccidien, que les animaux soient malades de cette affection parasitaire qui touche la majorité des élevages. Néanmoins des solutions alternatives existent bel et bien pour limiter les risques liés au développement et aux infestations par les coccidies.
Une pathologie des jeunes ruminants
La coccidiose est due à des parasites de l’intestin du genre Eimeria. Différentes espèces spécifiques des ruminants existent, mais toutes ne sont pas pathogènes. Chez les ovins, par exemple, seules deux le sont : Eimeria ovinoidalis et Eimeria crandalis. Dans les premières semaines de vie, l’immunité des nouveau-nés par rapport à ce parasite n’est pas encore développée. L’immunité se développant ensuite, les adultes deviennent résistants mais restent porteurs sains.
La contamination se fait par voie orale, dès les premières heures de vie, à partir des trayons des mères puis par ingestion ou léchage d’éléments souillés (paille, eau, matériel, bas des murs). Les coccidies vont se multiplier dans l’intestin grêle puis dans le gros intestin, détruisant ainsi les cellules de la muqueuse intestinale. Dans l’intestin grêle, ces destructions entraînent chez l’animal une malabsorption des nutriments, responsable de mauvais état général, de chute de croissance et d’amaigrissement. Dans le gros intestin, elles entraînent une mauvaise réabsorption de l’eau de la digestion, responsable de diarrhées plus ou moins sanguinolentes (voir figure 1).
Au bout de 2 à 3 semaines de multiplication, des millions de coccidies, sous formes d’ookystes, sont libérés dans le milieu extérieur avec les matières fécales. Ces ookystes vont se transformer pour donner des formes infestantes, les ookystes sporulés. Ceci va augmenter progressivement le risque d’infestation dans le bâtiment. Ces ookystes sont très résistants au froid et aux désinfectants. Ils peuvent survivre pendant plusieurs mois dans le milieu, principalement en bâtiment.
La maladie se rencontre principalement sous deux formes. La plus fréquente est la forme subclinique avec retard de croissance, laine piquée et risque accru d’entérotoxémies. Cette forme, parfois sous-estimée, peut avoir un impact économique lourd. Les symptômes commencent à apparaître environ 3 semaines après l’ingestion des coccidies. L’autre forme est clinique avec ballonnements, diarrhée sanguinolente ou noirâtre (due aux saignements de l’intestin suite à la destruction des cellules intestinales), amaigrissement, pouvant aller jusqu’à la mort.
La gravité de la maladie dépend beaucoup de facteurs environnementaux : pression d’infestation, stress (sevrage, changement de régime alimentaire, transport), infestation par des strongyloïdes. Les facteurs aggravants en bâtiment sont la chaleur, l’humidité, la forte densité d’animaux ainsi que les mélanges d’agneaux d’âges différents.
La confirmation diagnostic peut être faite à l’aide d’examens coproscopiques. Ceux-ci vont mesurer l’excrétion des ookystes par les agneaux. Il est également possible de typer les coccidies pour en déterminer l’espèce. Cela permet de savoir s’il s’agit de coccidies pathogènes ou non. Pour ces examens, vous pouvez faire appel au laboratoire du Pôle Santé Animale de l’Alliance Pastorale.
Des solutions efficaces
La prévention des signes de la coccidiose passe d’abord par une hygiène rigoureuse des bâtiments d’élevage :
• Maîtrise de l’humidité : surveiller les fuites et les remontées d’eau par le sol, soigner la ventilation, utiliser un asséchant ou un produit assainissant de la litière pour limiter l’humidité de celle-ci,
• Paillage en quantité suffisante, en particulier dans les zones de mise-bas (cases d’agnelage, box de vêlage…) et les cases de regroupement des jeunes animaux ; ensemencement de la litière avec des bactéries favorables (VETALHY NURSERY),
• Maintien des abreuvoirs propres et sans fuite.
En cas de pression forte dans le bâtiment, prévoir après curage un nettoyage à l’eau chaude haute pression puis l’utilisation d’un désinfectant actif aussi sur les ookystes de coccidies : PROPHYL S (Désinfectant à spectre large, cryptosporicide et coccidiocide à 2 %, bactéricide, levuricide, fongicide et virucide à 1 %).
La densité des animaux doit également être limitée, en respectant par exemple une surface de 1,5 à 2 m² pour une brebis et ses agneaux, de 9 à 10,5 m² pour une vache et son veau et de 0,25 à 0,3 m² pour une chevrette. Il convient également de ne pas mélanger des jeunes animaux d’âges différents pour limiter les contaminations entre générations.
La résistance des nouveau-nés doit être favorisée en vérifiant et en assurant une bonne prise alimentaire avec une quantité suffisante de colostrum puis de lait. Il est également indispensable de vérifier par une analyse coproscopique dès 15 jours – 3 semaines d’âge l’infestation par les strongyloïdes, petits strongles de bergerie qui favorisent la multiplication des coccidies dans le tractus digestif et l’expression de la coccidiose. Si nécessaire, un traitement contre ces parasites doit être mis en place dès cet âge.
Enfin, il est possible et efficace de limiter l’installation des coccidies dans le tube digestif par l’utilisation d’aliments complémentaires dès le plus jeune âge (voir figure 2). Ces aliments peuvent également préparer les jeunes ruminants au stress du sevrage, évitant ainsi l’expression d’une coccidiose clinique lors de cette transition.